Thoune (BE): un groupe de jeunes passe à tabac un des leurs car il avait révélé l'existence de leur "ordre secret".


Silence de mort

Ils sont là, en rang, à me regarder, me juger, moi. Un juge, un procureur, mon avocat et un jury. Que peuvent-ils comprendre ? Que savent-ils de notre morale, de notre foi?
Depuis que je suis né, on me parle du bien et du mal, du respect de la parole donnée, de la protection des valeurs auquel il faut croire. Depuis que je suis en âge de comprendre, je suis rentré en résistance. Je savais que le combat serait âpre et incompris. Mais la certitude que l'ennemi vient de l'extérieur pour gangrener nos valeurs justifie tous les sacrifices.
Nous étions six. Six hommes avec les mêmes valeurs, les mêmes croyances. L'Ordre des chevaliers Aryens. Nous avions prêté serment. Aucun de nous ne devait parler des chevaliers. Nous étions un groupe, une famille, une vraie, pas ce simulacre imposé par la génétique. Nous avions un but, une mission. On choisit ses compagnons, pas ses parents. Personne ne devait trahir, parler, rompre le silence. Se taire ou mourir. Le silence et la mort sont des synonymes. Les morts se taisent, les vivants qui parlent meurent, c'est aussi simple que ça pour ceux qui sont des hommes.
Il n'y a pas d'alternative, pas de choix. Personne n'a le droit de me juger, je suis d'une race supérieure qui ne disparaîtra jamais. Le prix à payer pour que le combat continue est le silence. Il n'y a qu'une lettre de différence entre mot et mort.
Nous étions six à avoir prêté serment sur notre vie que l'existence du groupe ne sera jamais dévoilée. L'Ordre des chevaliers Aryens. Lorsqu'un des six a parlé, la punition était évidente, obligatoire. Il le savait, il en connaissait le prix. Le silence est éternel, comme la lutte. Tout combat demande des sacrifices et les troupes se doivent de respecter les règles sous peine de perdre la guerre. Il n'y aura jamais de guerre sans victimes.
Du haut de sa superbe, un homme à qui je dénie le droit de me juger, pose des questions dont il ne veut pas entendre les réponses. Si je lui parle de mon combat, de la guerre que lui et ses semblables refusent de voir, il me fait taire. Les mots ne servent à rien. Ils sont devenus vides de sens. C'est pour cela que les membres du groupe avaient juré, sur leur vie, et accepté la mort comme seule sentence.
Nous l'avons punis. Le tuer n'a posé aucun problème. Il le savait. Nous l'attendions, les cinq, et nous l'avons fait taire, battus, le temps qu'il faille, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus jamais dire un mot.
Tout le monde parle dans ce tribunal, mais ils ne font rien. Ils ne bougent pas. Ils ne font que des sons avec leur bouche, comme tout le monde. Des mots pour expliquer des maux, alors que nous, nous avons fait le serment de ne pas parler, seulement d'agir.
Il est tombé aux premiers coups. Chacun de nous utilise sa propre arme. Bâtons, batte de baseball, barre à mine. Lorsque le sang a giclé de sa bouche avec ses dents, je pensais qu'il se tairait. À terre il continuait à geindre, à supplier, à demander un pardon que nous ne lui devions pas. Alors on a frappé, encore et encore. Entre chaque pause, on se regardait pour savoir quand il allait la fermer. J'ai même dû salir ma manche pour essuyer la sueur de mon front. Mais il continuait à parler. On s'est offert une petite suée. Les coups pleuvaient par milliers. Le temps était rythmé par nos coups, comme des bûcherons qui abattent un arbre, le temps n'avait pas de fin.
J'ai eu la certitude qu'il était mort lorsqu'il ne ressemblait à plus rien.
La seule chose qui m'a surprise est le temps qu'un homme met à se taire, à mourir.