Un incendie dans la région de Huelva, dans le sud de l'Espagne, a ravagé 14 000 hectares de forêts, maquis et pâturages depuis mardi. Environ 550 hommes tentent toujours de maîtriser le feu, avec l'appui d'une quarantaine d'avions et d'hélicoptères.
Aucun doute, il est vivant. Trois jours qu'on
lui court après et qu'on ne fait que lui chatouiller les pattes, au
mieux, on lui coupe la retraite. Il bouge, vite, se sert de tous les éléments
naturels à sa disposition. Quand on l'attend à l'Ouest, il fille
vers le Nord, sachant que nous devrons déplacer toute notre logistique
plus lentement qu'il ne décide de changer de cap. Pour ceux qui auraient
encore des doutes, le feu est la voix de Dieu. Il n'y a qu'à courber
l'échine et subir sa loi. Les victoires ne sont que des trêves,
comme si la partie le lassait et qu'il attendait un instant plus propice pour
reprendre. Les moyens technologiques à notre disposition sont dérisoires.
Devant un paysage lunaire où l'on pourrait avoir l'impression de l'avoir
fait taire, mais la réalité est là, sous nos pieds, il
avance, se déplace, se prépare à sortir ailleurs. Il
est partout, nous entoure, attend que l'on baisse les bras et se prépare
à redémarrer. On l'attend, comme ennemi ou comme un vieux compagnon
de lutte. La fatigue nous laisse hagards, comme si deux jours de lutte nous
avaient remis à notre place d'homme, impuissants, devant les forces
de la nature. On ressemble à de vieux boxeurs, sur lesquels les coups
ont fait tellement de dégâts qu'on ne sentira pas les prochains.
L'accalmie permet de faire le décompte des pertes. On se regarde de
loin, comme pour voir celui qui fera encore un bout de chemin. Certains hommes
ont été si près des flammes que le reflet est encore
dans leurs yeux. Le casque les a protégés, mais le feu a laissé
son emprunte sur eux, comme un tatouage, une marque de fabrique. Depuis notre
enfance, nous savons que l'homme a évolué en domptant le feu,
qu'avec son aide, on a forgé l'acier, créé le meilleur
comme le pire. Lorsqu'il redevient l'ennemi ancestral, c'est à se demander
qui domine qui. Il est clair que cinq heures devant un mur de flammes de huit
mètres de haut vous forge comme une lame et que le feu ne se préoccupe
pas d'esthétique. Il prend la matière et la réduit de
telle manière que tout se ressemble. L'arbre ou le rocher, l'homme
ou l'olivier ont les mêmes aspects. Il n'y a que l'homme qui en utilisant
le feu a voulu mettre sa marque de fabrique dans ce qu'il pouvait en tirer.
Le silence est interrompu parfois par la radio qui, avant de nous donner des
instructions, nous fait grimper le taux d'adrénaline. C'est elle qui
nous dira si la nuit sera de repos ou si le combat continue, avec pour nous,
moins de moyens et pour lui, la force de se montrer dans toute sa superbe.
La nuit nous ne sommes rien. Juste des petits pions qui essayent de l'entourer
pour prévenir les gens qu'une maison se reconstruit au contraire d'une
vie. La journée, les habitants ne voient que la fumée, l'odeur
âcres de son haleine, mais le danger n'est pas visible. La nuit est
son domaine et, dans l'obscurité totale, il se montre sans fards, exhibant
ces différentes couleurs, signe de ce qu'il consomme. Du jaune au vert,
en passant par le bleu, les flammes nous montrent ce dont il est capable.
Repu mais jamais vaincu, il laisse des terres vierges derrière lui
où l'homme devra suer pour y remettre du vert, y vivre. Jusqu'à
ce qu'il décide de revenir prendre son dû. Certains seront encore
là, pour se battre. D'autres iront ailleurs, dans l'espoir de ne plus
s'y confronter, oubliant presque que tout vient de lui. L'homme en fait se
bat pour ne pas payer son tribut au feu créateur, comme un créancier
qui essayerait de ne pas solder sa dette.