JO 2004: Anita Brägger éliminée pour un centième.
De la gloire à l'opprobre
Alors que depuis 10 ans, je courais pour le plaisir, je
suis passé, un après-midi, de l'ombre à la lumière.
Je cherchais le plaisir, celui qui vient après la souffrance, quand
le corps lâche des endomorphines et qu'il ne reste plus que la pensée.
Sur une course, un jour pas comme les autres, j'ai gravi les marches du podium.
L'or, alors que personne ne m'attendait à cette place. Le lendemain,
j'avais mon nom dans tous les journaux. Ma mère qui gardait les rares
articles sur moi n'arrivait plus à suivre. Le téléphone
sonnait toutes les cinq secondes. J'ai reçu des propositions de toute
part. Une publicité pour un yaourt, une autre pour une voiture, et
des interviews par dizaines. Télés, radios et toujours des journalistes
enthousiastes, reconnaissants, heureux, plus que moi. Les superlatifs fusaient
de toute part : grandiose, phénoménal, exceptionnel, historique.
La plupart du temps, je n'avais pas à répondre à des
affirmations. Rapidement on a essayé de me trouver un petit ami, comme
si les heures d'entraînements sur piste et en salle laissaient le temps
de se retrouver avec quelqu'un. Mon calendrier s'est noirci rapidement et
la plupart de mes week-ends se déroulèrent sur des stades. Rapidement
les dirigeants de mon club ont convaincu mon père de me trouver un
agent. Trois semaines plus tard j'avais un petit compte en banque et une voiture.
Je ne la conduisais pas, pas le permis. La seule fois où j'ai touché
le volant a été pour faire 100 mètres avec un homme couché
sur mes pieds pour les pédales. Un matin, on m'a annoncé que
je serais à Athènes et toutes les personnes avec lesquelles
je m'entraînais ont été remplacées. Dans les journaux,
j'apprenais des parties de mon existence que je ne connaissais pas. Durant
deux mois, j'ai été pris en charge, du levé au couché.
Mêmes mes heures de sommeils étaient calculées. Je travaillais
jusqu'à 12 heures par jour. De temps à autre, je lisais que
mon adolescence avait été difficile et que mes parents avaient
été proche du divorce. Tout était faux, mais l'existence
d'une jeune fille sans histoire, qui court pour le plaisir n'avait aucun intérêt.
Il fallait des accroches, de quoi permettre aux gens de s'identifier. On me
recommanda de ne pas me faire de soucis car on s'occupait de tout. Le jour
du départ vers la Grèce, mes parents m'ont regardé décoller
depuis le restaurant de l'aéroport. Mon père devait attendre
ces jours de vacances et ma mère que les camps commencent pour mes
deux petits frères. La soirée d'ouverture des jeux olympiques
a été une fête merveilleuse. Mes parents sont arrivés
le lendemain et logeaient dans un petit hôtel très cher pour
être proche du stade. Dans les vestiaires, deux heures avant la course,
onze personnes se sont occupées de moi. Massage, explications, et des
conseils par milliers, des conseils comme s'il en pleuvait. Dès que
je me suis retrouvée dans le stade, j'ai essayé de voir mes
parents. Il y avait des caméras partout et quand je me suis retrouvée
sur la ligne de départ, mon visage est apparu en grand sur les écrans
du stade. J'ai fait ce que j'ai toujours fait, même mieux. J'étais
contente de moi, les autres filles allaient plus vite. Pour un centième,
mon passage à Athènes se terminait. Pour les journaux, je n'avais
même pas fait de la figuration. J'avais frappé à la porte
et on m'avait répondu de ne pas entré. Je n'avais pas rempli
mon contrat et les déceptions des journalistes étaient plus
fortes que les miennes. Dans les articles, après avoir exprimé
toutes leurs déceptions, ils se lançaient dans des conjectures
surréalistes sur mon avenir ou les raisons de mon échec : La
mésentente de mes parents, ma faiblesse morale. Les contrats ont été
annulés et j'ai dû rendre l'argent aux différents sponseur.
En quelques centièmes de secondes, je suis passée de la lumière
au néant.